Dans son libre “Renaturée”, Frédérique Huguet-Jarnot nous entraîne dans une étonnante odyssée, celle d’une jeune femme, Florelle, qui suite à une rupture amoureuse décide de reconsidérer sa relation au vivant. Florelle intégre dans sa réflexion la place de l’homme dans le cycle de la vie, le tout en relation au monde animal. L’intrigue nous tient en haleine grâce à l’émotion qui court dans chacune des pages. La poésie de l’écriture de Fred, tout en sensibilité, illumine ce roman visionnaire.
Peux-tu te présenter en quelques lignes ?
Je suis née à Tours dans une famille classique des 30 glorieuses. Pavillon cossu, supermarché le week-end, profs de collège soixantehuitards motivés par l’expression créative. Après des études d’arts graphiques, j’atterris par hasard à Nîmes. Choc des cultures pour la jeune fille raide et timide que je suis alors. Je découvre le soleil et cela me fascine. Je travaille en tant que graphiste dans de petites agences de communication et observe incrédule les magouilles qui se trament. Cela fissure un peu mon amour du métier. Mais je poursuis cahin-caha entre les grossesses et les périodes de chômage, les prises de conscience écologiques et les crises financières.
Quel a été l’élément déclencheur de ta vocation ?
C’est cette instabilité mondiale et personnelle qui m’a plongée dans un état d’esprit proche de la dépression. J’avais un peu plus de 30 ans au début des années 2000 et je crois qu’écrire mon premier roman a été une façon de construire une zone refuge. De retrouver l’étincelle qui m’avait transportée dans un espace-temps créatif, allumée par ces fameux profs de collège et leurs sujets de rédaction audacieux, du style : vos réactions devant une porte close. J’aimais décoller dans l’imaginaire et sonder des thématiques ambitieuses. Après avoir ignoré cette part de moi durant de trop nombreuses années, je l’ai recontacté pour faire face à la vie.
Renaturée. Comment et quand cette histoire est-elle née ?
Un dîner printanier, je suis assise aux côtés d’une presque inconnue qui me raconte une anecdote personnelle, merveilleuse et improbable. Le souvenir de cette conversation ressurgit durant le confinement, bien des années plus tard. Et je ne sais pourquoi, je pressens un lien entre le virus, ce nouveau chaos mondial et l’anecdote que m’avait contée Maryannick lors de ce diner, celle d’un rouge-gorge qui se met sur son chemin pour l’aider à franchir des étapes importantes de sa vie. Je décide alors de l’appeler pour savoir si elle accepterait de m’en dire plus. Elle accepte. Son témoignage est à l’origine du livre. Même si l’histoire s’éloigne de son expérience au fil des pages pour rejoindre la fiction puis l’anticipation.
Pourquoi le choix de ce titre ?
Le choix d’un titre est crucial. Il doit intriguer, donner envie de lire le livre, évoquer l’histoire sans pour autant la déflorer. Je l’ai cherché durant au moins six mois. Pour moi, il représente le parcours de l’héroïne, et peutêtre de l’humanité, vers une autre façon de considérer la faune et la flore.
Dans ton roman, tu nous présentes une fresque sur le changement climatique à la fois claire, rigoureuse, et de plus, agréable à lire. Peut-on dire que ton héroïne est une réfugiée climatique ?
J’ai souhaité rendre sensibles et réalistes les bouleversements existentiels en cours, en les intégrant dans le quotidien d’un personnage. Florelle est une réfugiée climatique qui récuse le fantasme classique mettant en scène l’arrivée d’étrangers venus des quatre coins du globe. Avec Renaturée, le dérèglement devient plausible et local.
Quant à la responsabilité de l’homme vis à vie de la dégradation de la planète et de la souffrance animale, elle est évidente. L’un des postulats du livre réside dans cette question : en dehors des voeux pieux ou du militantisme, qu’est-ce qui pourrait inciter chaque personne, sensibilisée ou non à ces questions, à reconsidérer sa relation au vivant ?
Un roman qui toucherait un public qui ne lit pas forcément les rapports des articles scientifiques. Comment ton livre a-t-il été perçu par tes lecteurs ?
Je suis très heureuse que les premiers lecteurs – du moins ceux qui se manifestent – témoignent d’un véritable enthousiasme. J’avais peur d’écrire un livre militant ou donneur de leçons. Un livre prétexte. Certes, j’ai choisi d’assumer mes convictions, mais aussi d’y adjoindre des disjoncteurs qui permettent d’exprimer d’autres points de vue, des doutes. De plus, je voulais vulgariser des méthodes alternatives, dont certaines concernant l’agriculture et que cela s’intègre parfaitement à l’intrigue. Mais, par-dessus tout, je désirais embarquer les lecteurs dans une aventure. Pari réussi car ils disent s’attacher aux personnages et dévorer l’histoire. Et lorsqu’ils avouent repenser régulièrement au récit et poursuivre leur réflexion sur les sujets explorés, je me dis que j’ai peut-être réussi à équilibrer les différentes ambitions de ce projet. Quels sont tes objectifs et tes attentes ? J’ai rédigé ce roman par amour de l’écriture bien sûr, mais aussi pour diffuser des idées, des questions, des méthodes. J’y ai mis toute mon énergie. Je serai donc heureuse que Renaturée rencontre un large public.
En ne cherchant pas de maison d’édition, j’ai choisi de relever un défi, porter seule un projet éditorial, tout en soignant tous les aspects de l’ouvrage : couverture, composition, orthographe… La partie promotion me semble plus complexe car je n’ai pas d’accès privilégié auprès des journalistes littéraires. Je compte donc sur les lecteurs enthousiastes pour conseiller ou offrir Renaturée à leurs amis, le taguer sur les réseaux sociaux, déposer leur critique sur les sites et les groupes de lecteurs bref, donner sa chance à un livre un peu hors cadre d’être lu.
Interview réalisée par Fabienne Bourget, Le Petit Mag’ N°33, 2023.