La nuit, le froid… et des machines à laver.

L’arrière salle de la Brasserie du Dôme à Montpellier est plutôt frisquette en ce lundi soir de décembre. La serveuse allume tout juste le chauffage, une dizaine de personnes se présente timidement.

Michel, retraité, adepte de méditation est accompagné d’Anne Lise, jeune femme simple, souriante dont émanent calme et intelligence. Toux deux, éclaireurs d’un groupe de huit personnes souhaitent vivre ensemble. Une famille polygame ? Une communauté ? Une secte ? Non. Des êtres distincts, ordinaires qui, comme tant d’autres dans notre société individualiste, aimeraient remettre le collectif au cœur de leur façon de vivre, reprendre la main sur leur habitat. Mais voilà… on ne s’improvise pas promoteur immobilier, architecte ou animateur de groupe… Alors ? Ils sont venus voir… Rencontrer les membres d’«Habiter c’est choisir», hommes et femmes qui, comme eux, font le choix de bâtir leur logement en collectif.

«Habiter c’est choisir» a déjà franchi plusieurs étapes, définit deux programmes immobiliers : une résidence de 12 à 25 logements en centre ville, une seconde dans l’éco quartier des Grisettes à la limite de Montpellier. Points communs : mixité générationnelle, sociale, coopération, ouverture sur le quartier, comportements éco-responsables, mutualisation d’espaces (chambres d’amis, buanderies…) ou d’équipements (machines à laver, voitures, perceuses…) et, point non négligeable, un budget abordable ! Les valeurs sont là. Restent à transformer les idéaux en maisons. Stefan est là, pour les y aider.

Chargé de projet à Toits de Choix, et futur habitant du programme «centre-ville», Stefan Singer co-anime avec Bernard ce café-débat où le radiateur finit par réchauffer l’ambiance. Les manteaux tombent. De nouveaux arrivants s’installent autour d’une tisane, d’un demi ou d’un chocolat chaud-pistache qui défie l’hiver à coup de calories ultra-crémeuses. Ensemble, nous allons expérimenter la prise de décision commune sur un sujet précis : la machine à laver. Alors ? Une buanderie à chaque étage ? Un local en sous-sol ? C’est là qu’intervient la question du partage…

Partager oui… mais avec qui ? Et comment ? Une buanderie à chaque étage permettrait d’éviter les déplacements, les escaliers fastidieux pour les personnes âgées ou handicapées (la mixité fait partie intégrante du contrat), d’y adjoindre un congélateur commun, des placards de stockage, et donc, sortir ces m2 des logements individuels pour les mutualiser et baisser les coûts. Oui, mais…

Que deviennent l’échange, la convivialité inter-étage ? Un planning sera-t-il nécessaire pour être certain de trouver une machine libre lorsqu’on descend ses 5 Kg de linge sale… D’ailleurs, doit-on acheter de nombreux lave-linges ou quelques gros modèles professionnels ? Et qui les entretiendra, les dépannera ? Tout déléguer à un prestataire extérieur ? «Ah non ! Ce serait une faillite, si on arrivait pas à gérer nous-même notre collectif inventé !»

C’est ainsi que le rêve de vivre ensemble, mais chacun chez soi, se heurte à la nécessité de contraintes. Cependant, le projet avance, les décisions se prennent car, du débat, émerge l’intelligence collective qui, au fils des réunions, lentement, fait évoluer les participants jusque dans leur conception de la vie. Le lien existe déjà. Il est palpable. Ceux-là auront fait un sacré chemin lorsqu’ils emménageront dans la même résidence. Et puis, Stephan à les méthodes, le recul, les compétences en ingénierie immobilière pour conduire le projet à son terme sans qu’il ne s’essouffle ou ne se heurte à des impossibilités techniques.

Saura-t-il mener Myriam, locataire par choix politique, hostile à la notion de propriété, pour qui «vivre seule dans un immeuble classique n’a pas de sens» à devenir propriétaire, ou gardera-t-elle ses convictions en louant son prochain lieu de vie dans l’immeuble qu’elle aura contribuer à créer ?

Une seule certitude : c’est une belle aventure, de belles personnes qui se transforment en même temps que leur rêve au gré de leurs échanges.

Des colibris bâtissent un nid. Avec ou sans machine à laver partagée, l’avenir le dira. D’autres études, partout en France s’appuient sur l’expertise de Toits de choix comme autant d’alternatives au prêt à habiter ne répondant plus à notre envie de vivre autrement.

Frédérique Huguet Jarnot
Habiter c’est choisir, paru sur le Webzine des Colibris, 2013.